Il existe plusieurs appellations pour nommer celui à qui on donne le mandat de faire apprendre. Qu’on le nomme enseignant, professeur, maître, formateur, animateur, pédagogue, instructeur, moniteur ou éducateur, sa fonction est toujours essentiellement la même : amener la personne en formation à changer.

Là où le bât blesse le plus souvent, c’est dans la manière d’agir de celui qui est en avant de la classe pour atteindre le but et les attentes de la formation qui fait en sorte que la raison d’être de la fonction s’en trouve dénaturée. Entre l’intention et l’action, il y a la compétence.

Contrairement à la pensée populaire, être un enseignant ou un formateur compétent ne relève pas d’un don que l’on reçoit à la naissance. J’ai entendu maintes fois des enseignants d’expérience expliquer aux nouveaux que pour enseigner il fallait avoir ça dans le sang. Tu l’as ou tu ne l’as pas !

Il est vrai que certaines personnes ont des aptitudes à faire apprendre qui semblent nous indiquer que cela relève plus de ce qu’ils sont que de ce qu’ils savent. Comme dans plusieurs professions il y a des personnes qui émergent de la masse en raison du talent qu’elles possèdent à réaliser telle ou telle tâche. Un talent est une disposition naturelle à faire quelque chose. Peu importe le talent, s’il n’y a pas de connaissances et de compétences le talent demeure une coquille vide. L’athlète doit avoir au départ du talent, mais sans la science et l’entraînement il ne gagnera jamais de médailles.

Faire apprendre a toujours été, et est encore, une tâche complexe. Anciennement, il allait de soi que les pratiques étaient basées sur des croyances plutôt que sur des connaissances scientifiques. Mais les croyances sont tenaces parce qu’elles demandent peu d’effort pour être intégrées ; il s’agit d’avoir foi en la personne qui les exprime. Des croyances, par exemple, qui portent à croire qu’un élève docile est un bon élève, que la discipline est garante du respect, qu’il est nécessaire que le professeur énonce les savoirs pour qu’ils puissent être appris, qu’un élève qui écoute est en train d’apprendre, que les notes sont nécessaires pour motiver les élèves, que sans les notes il n’est plus possible de contrôler la classe, que les professeurs sévères sont les meilleurs, etc. À une certaine époque, pour assurer la fonction d’enseignant ou de formateur, il fallait surtout avoir une bonne morale, un peu de talent, de l’endurance, de l’autorité et quelques connaissances sur la matière à enseigner.

J’ai connu plusieurs enseignants, lorsque j’étais jeune à l’école, qui n’avaient pas de talent, mais qui avaient beaucoup d’autorité et la capacité de nous la transmettre, physiquement. C’est ce qui faisait d’eux des enseignants endurants. Ils compensaient le talent par la peur et les stratégies pédagogiques par la discipline.

Ce n’est pas parce que c’était vrai à cette époque que cela l’est encore de nos jours. Aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement d’intéresser son auditoire, de le distraire ou de remplir un espace de temps de manière convenable, il faut prédire et réguler les apprentissages à faire réaliser. Le savoir ne se trouve plus exclusivement à l’école ou dans un cours, il est partout. Les participants à une formation ne sont plus les personnes ignorantes d’une certaine époque. Elles ont des connaissances et elles doivent y ajouter les nouvelles et les comprendre pour pouvoir les utiliser. Nous ne sommes plus à l’époque où l’on essayait de leur transmettre les informations en espérant qu’elles les apprennent. Il ne s’agit pas non plus de les gaver d’informations dont elles ne savent que faire. Faire apprendre ne se mesure pas à la quantité d’informations transmises, mais aux connaissances acquises et à la prise de conscience de la pertinence de ces connaissances. Comme je dis souvent à mes étudiants : « enseigner moins et faites apprendre plus ».

Pendant longtemps, il y a très longtemps, un professeur devait transmettre des savoirs écrits dans des livres. Cette pratique avait un sens, car il n’existait pas de livres et de papier accessibles à tous. On allait à l’école pour écouter le maître lire les livres afin de mémoriser l’information. Il est drôle de constater que cette pratique perdure encore aujourd’hui même avec un bon « PowerPoint ». Les moyens changent, mais malheureusement les pratiques demeurent.

Faire apprendre n’est pas une tâche dont le résultat dépend de la disposition du participant. La science de l’éducation a fait son chemin et a permis aux professionnels de l’apprentissage de mieux comprendre et contrôler le phénomène. Le participant à une formation n’est plus le spectateur de ses apprentissages, il en est maintenant l’acteur et même l’auteur. L’enseignant devient alors un metteur en scène des apprentissages de ses apprenants.

Faire apprendre devient alors une activité professionnelle où le savoir, le savoir-faire et le savoir-être sont essentiels à la manifestation de la compétence professionnelle. Ce qui permet de mettre en évidence et d’exploiter le talent de ceux qui exercent cette profession ou de tout simplement les rendre compétents.

Que la formation se déroule en classe, en atelier, en industrie ou ailleurs, le processus est le même, c’est-à-dire prendre un participant dans un état « A » et le faire passer à un état « B » et cela que la formation soit de trois heures, trois jours, trois semaines ou plus. Il n’y a pas moins de défi parce que la formation est moins longue ; le défi est toujours le même pour celui qui fait apprendre. L’enseignant compétent apprend à gérer les contraintes plutôt que d’en être la victime.

Malheureusement, on mélange souvent les fonctions. Je fais toujours la nuance entre le conférencier et celui qui fait apprendre. Le premier transmet de l’information à des personnes qui sont en mesure de la comprendre, le second fait apprendre des informations à des personnes qui ne sont pas en mesure de les comprendre. J’ai rencontré plusieurs personnes qui se disaient enseignant ou formateur, mais qui en réalité étaient des conférenciers plus préoccupés à soigner leur ego qu’à faire apprendre. Ce n’est pas parce que l’auditoire est satisfait de la pseudo-formation que les objectifs de cette dernière ont été atteints.

Je me rappelle une anecdote datant de mes débuts comme enseignant en ébénisterie à l’éducation aux adultes. Mes élèves avaient manifesté violemment contre l’une de mes pratiques et se disaient insatisfaits de mes compétences comme enseignant. La direction est intervenue et leur a demandé l’objet de leur contestation. Ils étaient mécontents, car j’avais refusé de leur remettre le corrigé de l’examen avant l’examen. Ils affirmaient que cette pratique était normale habituellement et que c’est ce que faisait l’enseignant que j’avais remplacé et dont ils regrettaient la présence. Cet exemple est extrême, mais indique clairement que la satisfaction des participants à une formation peut être facilement acquise au détriment des objectifs à atteindre et de pratiques dépassant le sens commun.

La personne qui fait apprendre doit avoir une qualité maîtresse. C’est ce que j’ai pu constater à maintes reprises lors de mes travaux avec des enseignants. Ceux qui émergent et qui font de leur cours une activité enrichissante autant pour eux que pour les participants sont ceux qui ont une bonne estime d’eux-mêmes.

L’estime de soi peut se traduire par la capacité d’une personne à s’évaluer positivement et de façon réaliste. L’estime de soi amène la personne à manifester sa compétence dans toutes ses nuances. Cette personne connaît ses forces et ses faiblesses, ce qu’elle sait et ce qu’elle ignore. Elle peut exploiter ses faiblesses et son ignorance au profit des apprentissages des participants à ses formations. Les contingences sont pour elle des défis stimulants, non pas des écueils où elle a peur de s’échouer.

Le spécialiste de l’apprentissage ne connaît pas tout, mais il sait comment faire apprendre tout ce qui est nécessaire pour le développement des compétences des participants à ses formations. Il apprend de ses formations tout autant que ceux qui y participent. Je constate ce phénomène physiquement lorsque je donne des formations. Lorsque je donne un cours durant lequel pour une raison ou une autre je donne plus que je ne reçois, je suis beaucoup plus épuisé que lorsqu’il y a de l’interaction. Une conférence m’épuise plus qu’un cours. Lors d’une conférence je ne fais que donner, dans un cours je donne et je reçois et cela crée un équilibre beaucoup plus sain pour celui qui veut faire carrière.

Faire apprendre, selon moi, est une profession complexe qui s’apprend comme toute autre profession. Ce qui en fait, pour certains, une vocation, c’est le fait qu’en plus d’être professionnels ils ont des aptitudes innées pour ce genre d’activité. Lorsqu’on les observe, on a le sentiment qu’ils sont tombés dedans quand ils étaient petits, comme Obélix. L’aptitude est ici un additif à la manifestation des comportements professionnels, non pas un substitut.

Ce qui prête à confusion, c’est que beaucoup de personnes donnent des formations non pas sur la base des compétences qu’elles ont à faire apprendre, mais sur la base des compétences ou des connaissances qu’elles ont sur le contenu de la formation. Dans ce contexte, il y a un déni de la complexité du processus d’apprentissage qui est relégué au second plan. Cela donne l’impression que pour certains, c’est une occupation banale ou un passe-temps à la portée de quiconque a le courage de se présenter devant un groupe de personnes et d’y survivre. C’est curieux que l’on ne rencontre ce genre de situation, où n’importe qui peut s’improviser capable de former une autre personne, que dans le monde de la formation. Vous ne rencontrez pas ce genre ce phénomène chez les médecins, les avocats, les ingénieurs ou les professionnels et les autodidactes revendiquent les mêmes compétences.

Au Québec, il y a des défis importants à relever pour les années à venir dans le domaine de la formation de la main-d’œuvre que ce soit en formation continue ou initiale. Ces défis ne pourront être relevés sans des personnes compétentes pour former les travailleurs de demain. Malheureusement, on ne parle à aucun endroit de cette nécessité d’élever le niveau de compétence  des personnes qui devront faire apprendre les savoirs nécessaires au rehaussement des compétences des travailleuses et des travailleurs.

Il faut valoriser la fonction professionnelle de ceux qui font apprendre. Volontairement j’utilise ici la finalité de l’acte d’enseigner pour ne pas le confondre avec la fonction d’enseignant ou de formateur qui généralise et donne l’impression que tous les enseignants et formateurs font apprendre. Beaucoup d’enseignants et de formateurs ne sont préoccupés que par la gestion de leur cours et la matière à enseigner et non par les participants à leur formation, les apprentissages qu’ils doivent réaliser et les difficultés qu’ils ont à apprendre.

Faire apprendre est une très grosse responsabilité et d’une très grande complexité. Je suis conscient qu’il est difficile d’arrimer, en formation professionnelle, la compétence professionnelle dans la spécialité disciplinaire et la compétence à faire apprendre cette discipline. C’est un peu comme la poule ou l’œuf. Il faut connaître le métier pour le faire apprendre, mais comment le faire apprendre si je ne connais pas le métier d’enseignant ou de formateur.